Le roman sacré Prix Goncourt 2021 a été mis en scène à la 12ème édition des Récréâtrales. Une interprétation d’Odile Sankara et Aristide Tarnagda, respectivement présidente et directeur dudit festival. Deux sommités du théâtre burkinabé pour une lecture du livre à succès du Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr.
Le spectacle avait fermé guichet le 31 octobre 2022. À 21h30, le portail des Gyengani (cour familiale) est pris d’assaut. Une file d’attente se forme, au moment où d’autres tentent en vain de se procurer un ticket d’entrée. Malheureusement pour les retardataires, les places sont toutes prises soit par des lecteurs qui ont déjà lu ou non La plus secrète mémoire des hommes, soit par des badauds hâtes de découvrir l’œuvre romanesque à travers le spectacle du jour. Cet engouement du public est sans nul doute inhérent à la performance de l’écrit, au talent et à la notoriété du duo Odile et Aristide. Les deux interprètes sont au cœur des Récréâtrales à travers leur responsabilité. Les camarades d’Etienne Minoungou (fondateur des Récréâtrales) se sont également taillés une place de choix au pinacle de l’art dramaturgique.
La lecture théâtrale commence à 22 heures avec La Toile de l’Araignée-mère. Une ouverture faite par Odile Sankara. La comédienne vole aussitôt l’attention de toute l’assistance. C’est durant deux tours d’horloge que les deux comédiens ont narré l’ouvrage de Mbougar. Vêtue d’une tunique blanche et d’un jean, tantôt le chapeau à la tête et une pipe qu’elle délicatement , la comédienne se met sous les projecteurs; Son acolyte Aristide, a soigné sa mise avec un koko dunda (tissu burkinabè fait de coton teint) vert assorti de blanc et un chapeau traditionnel. La scène très aérée est assimilée à un décor des livres disséminés sur les deux tables placées aux extrémités du proscenium. La galerie lumineuse qui borde la scène se teinte de rouge, le mur de fond fait en briques sert en même temps d’écran annonçant les différents titres de de la lecture.
Aristide Odile, le parfait duo!
Les comédiens se succèdent le rôle de narrateur, en plus d’incarner les personnages du livre tels que Maria Siga, Diégane Latyre Diouf, Mossane, Ousseynou et Assane Koumakh. Cette alternance de rôles sur une même scène témoigne à suffisance de leur talent. Le dialogue de Diegane et Siga nous dévoile deux binômes complémentaires. Cette séquence, décrite par des mots, se retrouve désormais imagée par l’incarnation du couple. L’espace mental que fait naître la lecture procure un espace de la fiction imaginée sous forme de lieux intérieurs ou de paysages réalistes. C’est un voyage dans le temps! Le comédien prend un coup de vieillesse inattendu, avec la voix saccadée, les tremblements d’un corps à la fin d’une vie tumultueuse, le regard vide plein de regrets, larmoyant et figé. C’est Ousseynou Koumakh qui trouve visage en Aristide Tarnagda. La tirade d’Odile, sur les confessions de Mossane, émerveille plus d’un sur le travail de composition et l’endurance de la présidente des Récréâtrales. La lecture trouve son charme dans l’ancrage d’Odile et d’Aristide dans l’histoire du roman. Il puisent, comme qui dirait, dans leur parcours intérieur pour s’approprier le récit et offrir plus qu’une lecture au public déjà captivé à l’image d’un cercle d’enfants devant un conte du soir. C’est sans complexe que le Directeur du festival et sa partenaire ont puisé dans le silence. Un silence méditatif et assourdissant d’interprétations sur le récit.
Ouologuem réhabilité…
Jouer La plus secrète mémoire des hommes aux célèbres Récréâtrales vieilles de 20 ans, prolonge le regard des relations de l’Afrique ou des Africains avec le monde. Plus loin, comment les créations africaines sont-elles jugées en dehors du berceau de l’humanité? Le créateur africain est-il reconnu dans ce qu’il est ou ce qu’il fait au mieux sans préjugés de race, de couleur, d’appartenance? Le talent de Ouologuem magnifié par la plume de Mbougar Sarr, Odile et Aristide célèbrent et rendent justice à un auteur obligé de se retrancher. Yambo Ouologuem est un écrivain malien qui publie en 1968 Le Devoir de violence, un ouvrage bien accueilli par la critique.
Cependant, la descente aux enfers ne tarde pas avec une accusation de plagiat à l’endroit de l’écrivain. Ouologuem se détache du monde avec cet épisode tragique si bien qu’il est déclaré mort dix ans avant. C’est en 2017 à Sévaré dans son Mali natal que l’écrivain rend l’âme.
À travers T.C Elimane, Mbougar lui dédie La plus secrète mémoire des hommes. Le génie de l’écrivain ne fait pas de doute. Un rappel qui met en exergue l’avance de Ouologuem sur son époque.
Mbougar honoré au Faso
Au-delà de la valorisation de l’art dramatique, le projet d’Etienne Minoungou est un espace d’hommage. Depuis 2002, en effet, à travers le jeu et les thématiques, hommes et femmes sont célébrés. Ainsi comme Sony Labou Tansi Les parenthèses de sang ou Aimé Césaire avec Une saison au Congo, Mohamed Mbougar n’y a pas échappé. Le jeune sénégalais est un habitué des sacres littéraires. Ses trois romans Terre Ceinte, Silence du cœur et De purs hommes capitalisent de nombreuses récompenses et convoquent les questions littéraires et existentielles. Mbougar a été l’écrivain le plus présent de cette 12 ème édition des Récréâtrales.
En plus de la mise en scène du prix Goncourt, Terre Ceinte, son premier ouvrage par ailleurs lauréat du Prix Ahmadou Kourouma et Grand Prix du Roman Métis en 2015, englobe un projet d’encadrement et d’initiation au théâtre, photographie, danse, peinture, et Musique. Un projet au cœur de Kaya (Centre-nord du Burkina Faso) dont sont bénéficiaires des déplacés internes communément appelés PDI.
En outre, Terre Ceinte a eu droit à quatre lectures théâtrales dans le programme de la 12è éditions des Récréâtrales. Inspiré de Ouologuem, le travail de Mbougar à son tour souffle aux Récréâtrales .
Oussama Monique Sagna
